Une de mes infographies que vous pouvez voir ci-dessus a reçu ces derniers jours beaucoup d’attention. L’occasion pour moi, en répondant à quelques commentaires, de vous offrir quelques explications à son sujet.
C’est en réalité un rappel, aussi bien pour moi que pour tous les autres praticiens, que dans nos traitements, il est facile de conclure hâtivement à un effet de notre pratique. C’est un biais cognitif connu qu’on appelle le Post Hoc Ergo Propter Hoc.
Le raisonnement post hoc

Le Post Hoc, Ergo Propter Hoc signifie que, quand un événement en suit un autre, on a tendance à attribuer une relation de causalité entre les deux. C’est parfois vrai et souvent faux. Un exemple un peu stupide pour caricaturer ce sophisme serait de dire : « Aujourd’hui j’ai changé de gel douche et il s’est mis à pleuvoir. Ce gel douche fait donc pleuvoir. »
C’est important ?
En pratique, il m’est arrivé, lorsque j’étais tout fraîchement diplômé qu’après une séance de thérapie manuelle, une patiente, Mme X. me dise la fois d’après que ça lui avait fait beaucoup de bien. À la résurgence des douleurs, j’ai donc tenté en vain pendant 3 séances de reproduire les effets. Je m’étais dit que je n’avais pas étiré au bon endroit, pas assez fort, que mon geste n’était pas aussi parfait.

En réalité, je ne sais pas ce qui avait causé l’amélioration de Mme X. mais après avoir arrêté la thérapie manuelle et avoir commencé les exercices, elle allait mieux. Si j’avais été un peu plus intuitif à l’époque, un peu plus érudit, peut-être aurais-je investigué les facteurs de sa vie quotidienne ayant changé. Peut-être avait-elle des troubles du sommeil et que pour une fois elle avait bien dormi. Peut-être avait-elle fait une séance de marche, ou autre activité physique qui lui avait fait beaucoup de bien. Si je l’avais repéré, il aurait été facile de l’éduquer à ce sujet pour qu’elle puisse recommencer.
Différencier les résultats à court et long termes
Il y a des exemples, où des thérapies très efficaces à court terme peuvent entraîner des effets délétères à long terme. Par exemple, en sortant un peu du champ de la kinésithérapie, il y a une bonne probabilité que les infiltrations de glucocorticoïdes ait un effet négatif à long terme sur les douleurs lors de tendinopathies bien que très efficaces à court terme.
Peut-être se pourrait-il que ce soit le cas pour les étirements lors des tendinopathies également qui sont pensés comme rajoutant des contraintes compressives sur les tendons au niveau de leur insertion osseuse, bien que sur le court terme, la plupart des personnes se sentent bien.
Malheureusement, pour avoir connaissance de ce genre de cas nous ne pouvons que suivre les résultats d’études.
Analyse d’une réponse faite à l’infographie

Sur le blog d’un organisme de formation, un article me citant a été rédigé dans un but annoncé de répondre aux 6 personnes ayant réagi négativement.
Suite à une publication/infographie d’Anthony Halimi publiée sur Facebook le 10/11/18 sur le fait que lorsqu’un traitement est positif, nous ne sommes pas certains que le résultat soit lié « au principe actif » de notre traitement kiné, je pense qu’une clarification est nécessaire, compte tenu des commentaires de certains qui sont choqués et trouvent ce type de message contre-productif.
Intégrer du bon sens en pratique clinique

Mon message est avant tout clinique, pour que les praticiens tiennent compte du plus grand nombre de facteurs influençant l’amélioration d’un patient possible afin de maximiser ceux qui peuvent l’être, et de repérer ceux pour lesquels il faut fournir moins d’effort.
La méthode scientifique nous aide à progresser malgré nos biais cognitifs et s’en servir en pratique avec les patients est donc particulièrement intéressant.
Le message d’Anthony, est avant tout « académique » ou méthodologique, car en effet, si un traitement appliqué à un patient entraine un résultat, il est impossible de savoir si le traitement lui-même a produit le résultat.
C’est pour cela que le seul outil actuel pour démontrer l’efficacité d’un traitement est l’essai controlé randomisé (ECR). En utilisant cet outil, on élimine par la randomisation et le groupe « contrôle » TOUS les facteurs qui peuvent avoir entrainé une amélioration; même ceux qui ne sont éventuellement pas encore connus !
On cherche à faire apparaître la « taille de l’effet » spécifique du traitement grâce à un ECR (ECR de type explicatif notamment). C’est pour cela que le niveau de preuve d’une série de cas est faible comparé à un ECR. L’ECR a des limites (et des « biais ») mais nous n’avons pas mieux actuellement pour évaluer l’efficacité d’un traitement. L’ECR étudie le traitement pas le patient.
Prendre des marqueurs objectifs et des informations de la littérature

J’espère que l’infographie permettra de rappeler que se baser uniquement sur le ressenti du patient en pratique clinique sans tenter d‘objectiver l’état du patient peut nous faire défaut et qu’il y a un grand intérêt à suivre l’évolution des connaissances de la littérature pour guider son approche clinique.
D’un point de vue « clinique », cette infographie est déroutante car le seul facteur qui guide le clinicien est le résultat clinique visible sur LE patient qu’il a en face de lui. Si le patient « répond » (positivement) au traitement, le clinicien va poursuivre son approche.
Il est vrai que compte-tenu du fait que des effets à court terme négatifs peuvent au contraire être positifs à long-terme, se baser uniquement sur la réponse clinique, comme le rappelle l’infographie, peut mener à des erreurs.
On voit par exemple le cas d’exercices augmentant la spasticité chez un patient hémiparétique avec un syndrome pyramidal à court terme et produisant des effets bénéfiques sur les capacités fonctionnelles à long terme, sans augmentation durable de la spasticité. D’où l’intérêt de lire les essais cliniques sur le renforcement musculaire chez les patients hémiplégiques plutôt que de se contenter de se fier à son expérience clinique.
Je pourrais illustrer mon propos en prenant l’exemple d’un patient atteint d’un AVC. Il y a une trentaine d’années, la tendance était de ne pas réaliser beaucoup d’exercices car cela entraînait une augmentation de la spasticité et cela était jugé négatif.
Les publications ECR actuelles montrent que l’activité physique a un rôle positif dans l’amélioration de l’autonomie du patient atteint d’un AVC. La discussion est de savoir : quand les débuter, quand les réaliser, avec quelle intensité et avec quelle fréquence, etc.TOUS ces paramètres sont ajustés en fonction de la réaction du patient (ou pas) aux exercices.
C’est ce qui fait que, dans cette situation, l’infographie proposée est déroutante pour le clinicien. Le clinicien étudie… le patient… !
Pour mon patient hémiplégique, je dois garder en tête que de nombreux facteurs peuvent influencer le résultat mais je dois également utiliser mon raisonnement clinique pour ajuster « le principe actif » de mon traitement et l’adapter en fonction des résultats que j’obtiens.
Je ne suis plus académicien/chercheur mais clinicien.
JAMAIS une publication d’ECR ne donnera la dose et l’intensité du traitement à appliquer à M. UNTEL, le 13 novembre à 16H53 car de nombreux facteurs sont à analyser par le kiné pour ajuster le traitement à ce moment précis !

La plupart des praticiens Evidence-Based (parfois appelés les pro-EBP), connaissent la limite des études scientifiques qu’ils comblent par leur expérience clinique. Ainsi, le dosage du traitement, l’irritabilité du patient à nos manœuvres, les croyances et les attentes de ceux-ci sont autant de facteurs qui vont nous faire ajuster nos traitements. D’autres défauts admirablement bien expliqués par Véritasium ici viennent également assombrir le tableau.
Ils connaissent également les limites de leur expérience pratique malgré l’application d’un raisonnement scientifique comme celles pointées dans l’infographie qu’ils comblent par les études.
C’est la force de la méthode, connaître les faiblesses de chaque pan pour les compenser par l’autre. Il n’y a pas d’EBP sans étude, ni sans expérience clinique. Cette expérience clinique se doit en revanche d’être la moins biaisée possible pour nous être utile.
Un homme de paille (travestissement de l’opinion d’une personne) fréquent est de dire que les « Pro-EBP » ne font qu’appliquer une recette qu’ils ont lu dans des études à leurs patients. C’est évidemment faux comme expliqué tout au long du billet.
Je pense qu’actuellement, il existe une « dérive » à l’utilisation de la méthodologie qui, pour certains, tente de produire une sorte de « méthode universelle » voire une « recette » à appliquer !
La science doit alimenter la pratique et pas mal d’auteurs ont décrit cela (le mur de briques de Maitland, Mark Jones, etc.).
Cet extrémisme donne une pseudo-assurance au praticien. Celui-ci se persuadant qu’il applique la littérature à a lettre et que, si le patient ne répond pas comme attendu, c’est qu’il n’est pas possible de faire quoi que se soit d’autre… Tant pis pour le patient ! Rien de mieux n’ayant été publié à ce sujet…
Cela entraîne également une dérive marketing sur l’utilisation du terme « EBP » qui devient une sorte de « label » à donner des recettes ! Alors que pour un clinicien informé, sa pratique l’amènera à ajuster son traitement en fonction des réactions (positives ou négatives) de son patient.
Ce clinicien pourra même tenter de traiter des patients sans qu’aucune publication n’ait été publiée sur son/ses problèmes…
Pierre Trudelle
Directeur de Kpten
Vous pourrez retrouver l’intégralité de ce billet que j’ai commenté sur le blog de kpten. J’ai bien évidemment été mis mal à l’aise par celui-ci. Tout d’abord parce que, malgré ce qui est déclaré, il n’y a pas de clarification de ma position, mais au contraire beaucoup de confusion apportée en m’attribuant des propos que je n’ai pas tenus.
Ensuite, malgré l’absence de mise en cause directe, on peut tout de même y lire mon nom suivi plus loin des mots « extrémisme » et « dérive ». J’espère que l’auteur prendra conscience de l’association qui peut rapidement être faite de ce verbiage et qu’il prendra les dispositions nécessaires à la correction de celui-ci.
Beaucoup de points abordés étaient, je pense, totalement hors de propos de l’infographie et j’espère que cela n’a rien à voir avec mes conseils de formation éloignés de ce que peut proposer son organisme.
Merci de m’avoir lu jusqu’ici, j’espère que cela pourra contribuer à votre raisonnement clinique. Vous pouvez également en lire plus sur ma manière de raisonner cliniquement ici : Faire de la science au cabinet.
Bonjour Anthony,
Désolé si tu t’es senti visé ce n’était pas le but visé. Je vois près de 2500 kinés par an et j’ai enseigné dans une quinzaine d’IFMK depuis 1995 l’analyse critique de la littérature et j’observe une tendance que j’ai voulu notifier. A voir si les gens veulent s’auto-analyser ou pas. Je vais reformuler avec une terminologie renforcée qui sera moins accessible.
L’infographie présentée ne vient pas aider le deuxième pilier de l’EBP qui est le domaine du clinicien. Les informations que tu donnes ne sont reliés qu’au premier pilier qui est l’analyse critique de la littérature et en l’occurrence la validité interne ET la validité externe d’un ECR. Le raisonnement clinique que tu as décrit dans ton blog en est l’image car tu écris que dans la pratique clinique avec UN patient on doit choisir UN seul critère de jugement. Ce n’est pas adapté à la pratique clinique. D’un point de vue méthodologique on choisit un critère principal pour plusieurs raisons dont la réduction du risque de seconde espèce. En pratique clinique, il faut recueillir plusieurs informations, c’est tout le domaine du raisonnement clinique qui s’appuie sur les ECR et la clinimétrie mais d’autres processus de décisions sont mis en jeu.
Tu peux choisir le PSFS (que je défends ) mais comment gères-tu l’information cliniquement avec l’infographie que tu proposes ? Le patient à de nombreux facteurs qui peuvent expliquer pourquoi il à améliorer sa fonction…Dans ce cas pourquoi mesurer? D’ailleurs pourquoi traiter puisque l’on ne sait pas mesurer?
Quand tu parles de Jo Gibson et que la modification clinique peut se faire dans plusieurs semaines, comment peut-tu écrire cela alors que tu expliques que l’évolution naturelle de la maladie peut expliquer l’amélioration? Parce que c’est Jo Gibson qui le dit? On est dans l’EBP là ? Sans parler des effets des traitements à court terme ou à long terme. Là tu ne mélanges pas les informations? Que fais-tu des méthodes ABAB ou des études cas-témoins? Cela ne sert à rien de faire se type d’études?
La déviance que j’observe c’est l’utilisation d’informations méthodologiques et épidémiologiques qui devraient cibler le premier pilier de l’EBP (l’analyse critique de la littérature) mais qui dérive dans une pseudo-utilisation clinique. Alors que ce deuxième pilier devrait être développé sous la forme de cas clinique et de raisonnement clinique…L’implémentation de l’EBP est maintenant bien structurée. McMaster propose de très bons séminaires d’EBP clinique pour bien identifier quoi utiliser, quand et pourquoi. https://ebm.mcmaster.ca
A noter que l’on ne voit pas beaucoup de kinés (français) dans ces séminaires.
Enfin, je n’ai trouvé aucune formation dans le monde de l’EBP qui va dans le sens d’intégrer le risque de seconde espèce dans les tests cliniques appliqués au quotidien aux patients ou d’utiliser les inférences appliquées à un ECR pour les transposer sur un cas clinique. La clinimétrie qui est l’aspect méthodologique de la mesure n’est pas non plus appliquée sur un cas en pratique quotidienne. Cherches-tu un étalon-or pour vérifier que ta mesure est bien réalisée?
Quand j’ai titré Académique versus Clinique c’est pour montrer ce qui doit être de l’analyse critique et ce qui doit être du raisonnement clinique.
Je ne commenterai pas le reste du texte qui est de l’analyse d’informations a posteriori…et qui ne traite pas le fond du débat qui est le mélange de méthodologie de recherche appliquée à la pratique quotidienne. Je ne commente pas non plus les motivations des personnes qui font liker ou pas les commentaires.
Salut Pierre, désolé pour le temps de latence pour répondre.
1- Je me suis senti visé parce que mon nom était directement indiqué et était le seul, c’est un bon indicateur en général. En tout cas, voulu ou pas, cela est une méthode d’étiquetage éprouvée.
2- Ce sont des méthodes de débiaisement cognitifs qui sont recommandés dans la littérature (par exemple ici : Croskerry, P., Singhal, G., & Mamede, S. (2013). Cognitive debiasing 2: impediments to and strategies for change. BMJ Quality & Safety, 22 Suppl 2(Suppl 2), ii65–ii72. https://doi.org/10.1136/bmjqs-2012-001713) et plus couramment dans le monde rationaliste.
3- Choisir un seul critère de jugement est une approche valable puisqu’à ma connaissance il n’a pas été apporté preuve du contraire. Cela peut même être une approche préférable comme je t’avais déjà répondu sur facebook.Si tu prends beaucoup de marqueur, tu peux augmenter le risque de trouver une variation aléatoire non liée à ton traitement sauf qu’ici on n’appellera pas ça risque de première espèce. Exemple : Un patient que j’ai eu qui a gagné en amplitude de flexion lombaire suite à des mouvements répétés en extension mais sans changement dans son intensité douloureuse, ni dans les mouvements dans les autres plans. Il s’est avéré qu’en retestant à la séance suivant, l’amplitude changeait également si je ne lui demandais pas les mouvements répétés. Il y avait un simple effet d’apprentissage qui permettait ce gain d’amplitude, ou alors un changement dans la visco-élasticité des muscles…
4- Le patient a certes de nombreux facteurs qui permettent d’expliquer son amélioration, l’idée est de monitorer si la stratégie utilisée permet l’amélioration du patient, que ce soit en lien avec la stratégie ou autre chose. Si on observe une stagnation, une régression ou une variation sans changement dans la stratégie, alors on peut raisonnablement penser qu’il n’y a pas de lien de causalité entre notre traitement employé et l’amélioration du patient et il convient de changer de stratégie. Cette approche stratégique peut sembler faire perdre du temps mais en fait en réalité en gagner si on gère bien l’incertitude.
5- Je crois que tu déformes mes propos, qui n’ont pas été tenus dans le blog mais sur facebook, où je disais d’un aveu que la faiblesse de cette méthode était que le changement entre les séances n’était pas forcément prédictif de la réussite fonctionnelle (d’où la gestion de l’incertitude) et qu’en plus certains thérapeutes semblent s’accorder sur le fait qu’il faut essayer au moins 12 semaines de traitement par exercice pour s’assurer de l’absence d’effets. jo Gibson avait pointé une étude dessus que je n’ai jamais retrouvé et donc je ne peux pas vérifier la véracité de cette idée et c’est pour cela que j’ai indiqué sa provenance.
6- Tu appelles ça une déviance, j’appelle ça une idée. C’est proche de ce que Moseley recommande en formation Explain Pain d’ailleurs, traiter ses patients comme un essai contrôlé randomisé de n=1.
7- C’est le risque de PREMIERE espèce, le risque alpha. Si tu veux, le bouquin d’Eliezer Yudkowsky fournit beaucoup d’exemples d’utilisation des méthodes de lutte contre les biais de la méthode scientifique dans la vie quotidienne et est une véritable mine d’or pour le raisonnement clinique : https://wiki.lesswrong.com/wiki/Rationality:_From_AI_to_Zombies